“Choisissez la vie…” – documents synodaux mars 2022

“Choisissez la vie…”

Le climat, une question de foi ?

Un document de discussion pour les districts et les paroisses de l’EPUB

 

Introduction

Le 19 mars 2022 se tiendra une assemblée synodale extraordinaire de l’Église Protestante Unie de la Belgique (EPUB), qui sera spécialement consacrée au changement climatique. Au cours de cette session spéciale, nous réfléchirons aux effets du changement climatique, à ce que cette question a à voir avec notre foi et aux raisons pour lesquelles l’Église devrait s’en préoccuper. Nous espérons également discuter de la manière dont nous pouvons prendre nos responsabilités en tant qu’église nationale, en tant qu’églises locales et en tant que croyants individuels.

 

A la demande du Président du Synode, le Pasteur Steven Fuite, le Groupe de Travail Eglise dans la Société a rédigé le présent document de travail. La prétention de cette note est limitée; il s’agit de lancer une discussion. En préparation du Synode extraordinaire sur le climat, il est prévu que ce document soit discuté dans les Districts et dans les paroisses locales. Les résultats de ces discussions pourront être utilisés lors du Synode et joueront également un rôle dans le processus de suivi.

 

Nous pouvons être brefs sur les effets très inquiétants du changement climatique dans ce document; nous en entendons parler presque quotidiennement dans les médias. Il est clair que nous sommes sur la mauvaise voie et que des mesures drastiques sont nécessaires. Pas dans le futur, mais maintenant. Plus encore que les autres, les jeunes ont conscience que l’avenir de la planète, et le leur, est en jeu. Il n’est donc pas surprenant qu’ils soient à l’avant-garde des nombreuses marches pour le climat qui ont lieu dans le monde entier.

 

La manière dont l’humanité est capable de prendre des mesures de grande envergure a été démontrée par la réponse à la pandémie du virus Covid-19. La recherche est soudainement devenue beaucoup plus rapide qu’auparavant et des sommes énormes ont été mises à disposition dans les pays riches pour sauver l’économie et protéger les vies humaines. La crise climatique ne peut cependant pas être résolue par l’injection d’un vaccin. Les effets de cette crise sont, certainement à long terme, beaucoup plus importants que ceux de la pandémie et nécessitent donc des mesures urgentes et de grande envergure, de la part des gouvernements, des entreprises, des organisations sociales et des citoyens individuels.

 

En tant qu’EPUB, nous voulons réfléchir à notre responsabilité en tant que communauté religieuse. Nombreux sont ceux qui nous ont précédés. Dès les années 1970, les questions environnementales sont apparues à l’ordre du jour du Conseil Œcuménique des Églises. Le thème de la Création a fait l’objet d’une attention particulière dans le processus conciliaire lancé par le Conseil Œcuménique des Églises dans les années 1980. La Confession d’Accra, adoptée en 2004 par l’Alliance Mondiale des Eglises Réformées, considère le traitement de la Création comme une question de confession. Et en 2015, la pénétrante encyclique du pape François, « Laudato Si´», a été publiée avec le sous-titre “Sur la sauvegarde de la maison commune”. Cette encyclique ne s’adresse pas seulement aux catholiques, mais à tous les habitants du monde. Il appartient maintenant aussi à l’EPUB de réfléchir à la manière dont notre foi dans le “Dieu de la vie” façonne notre pensée et nos actions à une époque où la vie sur terre est fortement menacée.

 

Choisissez la vie, pour votre propre avenir et celui de vos descendants... (Deutéronome 30:19)

I) Inquiétude pour la Terre

Le rapport tant attendu du groupe scientifique des Nations Unies sur le climat – le Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC) – a été publié en août 2021. Selon le rapport, il ne fait aucun doute que l’homme est responsable des changements rapides et généralisés du climat. Une réduction très drastique des émissions de gaz à effet de serre est nécessaire à court terme pour limiter le réchauffement climatique à un maximum de 1,5⁰C par rapport à l’ère préindustrielle. Si nous devions continuer au rythme actuel, nous pouvons nous attendre à un réchauffement de plus de 3⁰C. Cela aurait des conséquences désastreuses pour la vie sur Terre.

 

Les effets du réchauffement climatique sont déjà visibles dans toutes les régions du monde. Les calottes glaciaires fondent. En conséquence, le niveau de la mer s’élève. Cela entraîne des problèmes pour les populations côtières. Les ouragans sont plus fréquents, plus intenses et causent de plus en plus de dégâts et de souffrances humaines. Certaines régions connaissent une sécheresse extrême tandis que d’autres régions du monde sont frappées par des pluies intenses. Des précipitations trop faibles ou trop importantes entraînent des pertes de récoltes, ce qui provoque des famines. Les gens fuient les zones touchées. Les Nations Unies estiment que en 2020, le nombre de personnes ayant fui à cause du changement climatique était plus élevé que pour toute autre raison.

 

Outre le réchauffement climatique, le déclin drastique de la biodiversité est également un sujet de grande préoccupation. La biodiversité représente la variété des formes de vie sur terre. Ces “écosystèmes” sont interconnectés et interdépendants. Selon la plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les écosystèmes (IPBES), pas moins d’un million d’espèces vivantes sont menacées d’extinction. Cela constitue une menace pour la vie elle-même, car les différentes formes de vie se soutiennent mutuellement et sont très interdépendantes.

 

Justice climatique

Les inondations survenues en Belgique et en Allemagne en juillet 2021, qui ont fait des dizaines de morts, montrent une fois de plus qu’aucune région du monde n’est à l’abri des effets néfastes du changement climatique. Dans le même temps, il est clair que les populations les plus vulnérables seront les plus durement touchées. Ceci alors qu’elles sont responsables de très peu d’émissions de gaz à effet de serre nocifs. Elles vivent souvent dans des zones sujettes aux inondations ou à de graves sécheresses et souffrent le plus des pénuries alimentaires. Leurs moyens de subsistance dépendent fortement des ressources naturelles, de l’agriculture traditionnelle, de la pêche et de la sylviculture. Il leur est très difficile de s’adapter aux nouvelles conditions climatiques et de faire face aux catastrophes (naturelles).

 

Il est clair que les épaules les plus solides doivent supporter les charges les plus lourdes pour passer à une société durable et il est tout aussi clair que ces charges devraient revenir en priorité à celles et ceux qui contribuent le plus à la destruction de la planète. C’est pourquoi la lutte contre le réchauffement climatique est une question de “justice climatique” et de respect des droits de l’homme. Les droits à l’alimentation, au logement et à la santé des groupes vulnérables vivant aujourd’hui doivent être protégés. Cependant il faut aussi défendre les droits des générations futures. Après tout, ils ont le droit d’hériter de nous une terre où ils pourront bien vivre.

 

La nécessaire transition vers une société durable et à faible émission de carbone s’accompagne de problèmes d’adaptation. Par exemple, l’emploi diminuera dans certains secteurs tandis que de nouvelles opportunités seront créées dans d’autres. La transition doit être équitable. Les avantages et les inconvénients devront être répartis équitablement. C’est la seule façon de créer la base sociale nécessaire pour prendre des mesures drastiques.

 

La paix

Le changement climatique est également une menace pour la paix. La concurrence pour des ressources rares telles que l’eau, les terres agricoles, les zones de pêche, et l’air pur provoque déjà des tensions qui pourraient s’aggraver si le climat change encore davantage. La paix avec la Terre devient de plus en plus une condition préalable à la paix entre les peuples. Il est clair que la justice, la paix et la préservation de la Création sont inextricablement liées.

 

Une crise systémique

Des problèmes majeurs tels que la crise climatique, le déclin dramatique de la biodiversité, la pollution et l’empoisonnement de la terre, le fossé entre les riches et les pauvres, le nombre croissant de réfugiés, la crise sanitaire (COVID-19) et les conflits entre et dans les pays ne sont pas séparés mais intrinsèquement liés. À l’origine de ces questions se trouve une vision plutôt cynique de l’homme, qui part du principe que l’homme est par nature plus axé sur la compétition que sur la coopération, que la nature est subordonnée à l’homme et que l’objectif de l’homme est d’acquérir et de conserver le plus de pouvoir possible – si nécessaire en recourant à la violence.

 

Cette image de l’homme a pris forme dans des structures politiques, économiques et autres qui sont très difficiles à changer parce qu’elles sont imbriquées dans des schémas de pensée profondément ancrés ainsi que dans des structures et des systèmes de pouvoir profondément enracinés. La lutte contre la crise climatique passe donc aussi par la mise à nu des rouages de ces structures. Partout où ces structures servent les intérêts de petits groupes, nuisent aux groupes vulnérables et menacent la vie sur notre planète, des changements radicaux sont nécessaires. La résistance aux contre ‘les dominations et les autorités’ ne se fera pas sans lutte et exige, à l’instar de Jésus, que les tables nécessaires soient renversées (Jean 2:13-22).

 

Une crise spirituelle

La crise climatique, ainsi que d’autres problèmes majeurs, montrent clairement que notre vision de l’humanité est remise en question. Par conséquent, ces crises forment également ensemble une crise spirituelle. Elle concerne des questions fondamentales telles que: Quel est le rôle de l’homme dans la création? Quelle responsabilité avons-nous les uns envers les autres – proches et lointains, envers nos contemporains et les générations futures, et envers la Création dans son ensemble?

 

II) Une préoccupation pour l’Église?

Pourquoi l’EPUB convoquerait-elle un Synode extraordinaire sur le changement climatique? Le réchauffement climatique n’est-il pas un sujet qu’il vaut mieux laisser aux scientifiques et aux politiciens? L’église ne devrait-elle pas se préoccuper davantage du salut des fidèles,  Dieu ne fera-t-il pas en sorte que tout se passe bien? Les questions politiques et sociales s’inscrivent-elles dans l’agenda de l’église? Ne nous laissons-nous pas emporter par l'”hystérie climatique”? Pour réfléchir à ces questions, nous allons, selon la bonne habitude protestante, ouvrir la Bible. Après tout, écouter la Parole de Dieu avec un esprit ouvert, et essayer de comprendre ce qu’elle signifie pour nous, précède nos actions.

 

La Création et la nature

Mais avant d’ouvrier la Bible, il convient de préciser que lorsque la tradition judéo-chrétienne parle de la Création, elle entend autre chose que la nature. Lorsque nous parlons de la Création, nous utilisons le langage de la foi. En fait, nous affirmons croire que dans l’amour de Dieu, chaque créature, la flore et la faune, a sa propre valeur et son propre sens, et que toute vie émane de Dieu. La nature, cependant, peut être à la fois belle et cruelle. Les catastrophes naturelles peuvent apporter beaucoup de misère et de souffrance. La survie du plus apte (‘survival of the fittest’) et le droit du plus fort s’appliquent également. Cela va à l’encontre du message biblique et du commandement de protéger les faibles et les fragiles. Il est important de rappeler cette distinction entre “nature” et Création.

 

Histoires de la Création

La Bible commence par deux récits de la Création.

 

L’être humain en tant que dirigeant?

Genèse 1:28 nous dit que Dieu a créé l’être humain à son image:

Dieu les bénit et Dieu leur dit: « Soyez féconds et prolifiques, remplissez la terre et dominez-la. Soumettez les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et toute bête qi remue sur terre.

 

Ce texte a conduit à ce que la vision du rôle de l’être humain en tant que “maître” de la Création soit longtemps dominante dans le christianisme. Jusqu’à la fin du siècle dernier, l’Église était encore d’avis que la terre était faite pour l’être humain et non pas l’être humain pour la Terre. Aujourd’hui, au sein des églises, on accorde moins d’attention à l’idée que l’être humain doit dominer la Création. On a pris conscience qu’il y a des aspects dangereux à cela. L’histoire de la tour de Babel nous a montré les excès qui peuvent se produire lorsque l’être humain pense qu’il peut et doit “régner”.

 

Garder et surveiller

Dans Genèse 2:15, l’accent est mis différemment:

Le Seigneur Dieu prit l’homme et l’établit dans le jardin d’Eden pour cultiver le sol et le garder

 

Ce texte a souvent été utilisé pour indiquer que Dieu a désigné l’être humain pour être l’administrateur, l’intendant, de la Création. Dans cette vision, nous entendons toujours l’écho de l’homme en tant que souverain, mais l’accent est davantage mis sur la responsabilité qu’ont les humains de veiller sur la Création. La bonne attitude est celle de la retenue et de la modestie; tout ce qui est possible n’est pas souhaitable. On pourrait même lire dans ce texte de la Genèse un appel à ne pas intervenir dans la nature, sauf pour la “cultiver” afin de fournir les nécessités de la vie.

 

Le “labours” et le “gardiennage” impliquent une relation de réciprocité responsable entre l’humain et la nature. L’être humain a le devoir de protéger la Terre et d’assurer la continuité de sa fertilité pour les générations futures. Car “à Dieu appartient la Terre” (Ps. 24:1), et à Lui appartient “la Terre et tout ce qui est sur elle” (Deut.10:14). Toute prétention de l’homme à une possession exclusive est rejetée car nous sommes toujours responsables devant Dieu: “La vente d’un terrain ne doit pas empêcher son rachat, car le terrain m’appartient ; vous y êtes des étrangers et des hôtes” (Lev. 25:23).

 

Néanmoins, il y a une remarque importante à faire sur la vision de l’humain en tant qu’intendant. Après tout, l’humain reste au centre de la création, au-dessus de toutes les autres créatures. Ceci alors que nous sommes complètement dépendants de la Création dans son ensemble.

 

Covenant/Alliance avec tous les êtres vivants

Une belle façon de voir notre rôle sur la terre et dans la Création est celle d’un partenaire d’alliance avec Dieu. Dans le texte de Genèse 6, il est dit que Dieu a vu que la terre était mauvaise de part en part et que tout le monde menait une vie mauvaise . Seul Noé a trouvé grâce auprès de l’Éternel. Après le déluge, Dieu a conclu une alliance avec Noé et ses descendants: “‘Et ceci, dit Dieu, sera pour toutes les générations à venir le signe de l’alliance entre moi et vous, et tous les êtres vivants avec vous: je placerai mon arc dans la nuée; ce sera le signe de l’alliance entre moi et la Terre.'” (Gen.9:12-13). Il est frappant de constater que Dieu ne fait pas seulement une alliance avec les humains mais aussi avec “la Terre”. Ceci est répété au verset 17: “‘Ceci, dit Dieu à Noé, est le signe de l’alliance que j’ai conclue avec tous les êtres vivants de la Terre'”. (voir aussi Osée 2:20)

 

L’alliance est un don de la grâce qui ne peut être acheté (Esaïe 55:1). À partir de cette grâce et en tant que partenaire d’alliance de Dieu, l’être humain s’est vu confier une responsabilité importante dans la création de Dieu, surtout si l’on considère que Dieu a également conclu une alliance avec toutes les autres créatures de la terre.

 

Sabbat/repos

Une autre perspective que nous voudrions mentionner ici est celle du sabbat. La Création ne s’est pas achevée avec la création de l’humain, mais avec un jour de repos. Vu sous cet angle, ce n’est pas l’être humain mais le sabbat qui est le couronnement de la Création: “Dieu bénit le septième jour et le déclara saint, car en ce jour il se reposa de toute son œuvre de création” (Gen.2:3). Ce jour de repos s’applique également l’être humain, à la terre et aux animaux (Ex.23:12).

 

L’importance du repos a été soulignée lorsque l’année sabbatique et l’année jubilaire ont été établies. L’Éternel dit à Moïse: “Dis aux Israélites: “Quand vous serez dans le pays que je vous donnerai, le pays devra avoir du repos, un repos de sabbat consacré à l’Éternel. Pendant six ans, tu pourras ensemencer ta terre, tailler ta vigne et faire la récolte. Mais la septième année, tu dois laisser la terre se reposer.” (Lévitique 25:2-3). La même obligation s’appliquait à chaque cinquantième année – l’année jubilaire. La terre ne devait pas être épuisée et il fallait lui donner une chance de se rétablir. Il est important de noter qu’au cours de l’année jubilaire, le souci de l’équilibre écologique allait de pair avec le rétablissement de relations équitables, telles que l’annulation des dettes et la libération des esclaves.

 

L’être humain au centre

Depuis l’époque où la Bible a été écrite, l’humanité a connu de grands développements. Nous sommes en effet devenus “féconds” et “nombreux”. Grâce à l’ingéniosité reçue de Dieu, les humains ont “travaillé” la terre, mais l’ont-ils aussi “gardée”?

 

L’évolution a été rapide, surtout au cours des derniers siècles. L’humanité est entrée dans une nouvelle ère où la puissance de la technologie nous place à la croisée des chemins. La technologie a limité et combattu d’innombrables maux qui affligent l’humanité. Nous ne pouvons qu’apprécier et être reconnaissants pour les progrès réalisés, par exemple, en médecine, en technologie et en communication. D’autre part, nous ne pouvons nier que des choses comme l’énergie nucléaire, la biotechnologie, les technologies de l’information et la connaissance de notre propre ADN nous confèrent un pouvoir terrifiant. Jamais auparavant l’humanité n’a eu autant de pouvoir sur elle-même. Rien ne garantit qu’elle en fera bon usage, surtout si l’on considère la manière dont l’humanité a utilisé ce pouvoir jusqu’ici. Il suffit de penser aux bombes atomiques qui ont été larguées sur le Japon. Dans quelles mains réside tant de pouvoir, et dans quelles mains peut-il tomber?

 

De l’ego à l’éco

Dans les temps modernes, l’homme est devenu de plus en plus central. Cet anthropocentrisme s’est souvent accompagné d’une montée de l’individualisme, qui sape le sens de la communauté. Un mode de vie fortement égocentrique, associé à un comportement de production et de consommation effrénée, entraîne l’exploitation de la nature, le réchauffement de la planète, un déclin dramatique de la biodiversité et une augmentation de la pollution et de l’empoisonnement. En outre, la “politique” a souvent tendance à penser à court terme alors qu’une vision à long terme est nécessaire.  Il est clair qu’un changement de mentalité est nécessaire. L’homme doit se considérer davantage comme une partie d’un ensemble plus vaste que comme le centre de la création. L’accent devrait être déplacé de l’ego à l’éco.

 

Chaque année, le ‘think tank’ Global Footprint Network calcule la date symbolique à laquelle l’humanité aura consommé toutes les ressources naturelles que la terre peut produire en un an. À partir de ce moment, nous abattons plus de forêts que la nature ne peut en produire et nous émettons plus de gaz à effet de serre que la nature ne peut en absorber. Le reste de l’année, l’humanité vit à crédit. En 2021, cette date était le 22 août pour l’ensemble du monde. Pour la Belgique, cependant, cette date était déjà le 30 mars en 2012. Ensemble, nous avons donc une “empreinte écologique” encore plus grande que celle de nombreux autres pays du monde.

 

Aujourd’hui, l’humanité dans son ensemble a besoin de 1,7 Terre pour maintenir le mode de vie actuel. Il est clair que cette situation est intenable et insoutenable. La production et la consommation sans limite causent des dommages irréparables à notre planète. De nombreuses personnes semblent avoir perdu la notion de “limites” et de “suffisance”. La croissance économique en tant que telle ne peut être une fin en soi, mais doit être au service de l’amélioration de la qualité de vie de tous les habitants de la planète.

 

Prospérité et bien-être

Cet accent mis sur la qualité de la vie peut avoir des significations différentes selon les personnes. Pour beaucoup de personnes dans le monde qui vivent dans une pauvreté abjecte, avoir plus de ressources matérielles serait une bénédiction. Plus d'”avoir” pour eux, c’est aussi plus d'”être”. La justice exige qu’on leur donne la possibilité de vivre dans la dignité. Pour celles et ceux qui vivent dans la prospérité, “avoir plus” ne signifie pas nécessairement une vie meilleure et plus heureuse. Pour eux, la qualité de la vie ne dépend plus de l’augmentation des possessions. Dans une telle situation, une plus grande “prospérité” n’entraîne pas nécessairement un plus grand “bien-être”. La recherche d’une plus grande richesse et d’une plus grande consommation peut même avoir des effets pervers: “Que sert à un homme de gagner le monde entier, mais de perdre sa vie ? (Marc 8:36).

 

Péché et repentir

Lors d’une visite au Conseil Œcuménique des Églises (le 24 avril 2017), le patriarche œcuménique Bartholomée Ier a déclaré que, dans le monde d’aujourd’hui, les Églises ne peuvent pas se limiter à s’occuper du salut de l’âme des fidèles car: ” L’ensemble de la Création de Dieu sur Terre subit un profond changement. Cela demande aux Églises d’être vigilantes, de s’informer et de s’éduquer sur le lien entre la crise écologique actuelle et la cupidité humaine, le matérialisme, l’égocentrisme et le pillage des ressources de la terre.” Le patriarche œcuménique a ajouté que la pollution et la destruction de l’environnement sont des péchés contre la Création et donc contre Dieu. Comme pour tout péché, cela nécessite un repentir. Car “un crime contre la nature est un crime contre nous-mêmes et un péché contre Dieu”.

 

Les paroles du patriarche indiquent clairement que la destruction de l’environnement est une question très grave qui, en langage religieux, peut être appelée un péché. La relation initialement harmonieuse entre « l’être humain et la nature » s’est transformée en relation conflictuelle (cf. Gen 3: 17-19). Une réorientation, un repentir, un tournant, une conversion sont nécessaires, au niveau personnel, de l’Eglise et de la société. Dans ce contexte, il peut être utile de réfléchir à ce que peut signifier “la vie dans toute sa plénitude” (Jean 10:10).

 

Confession

Cependant, la question est encore plus grave et va au-delà du “péché”. Avec la façon dont nous traitons actuellement la terre, l’humanité rompt en fait l’alliance que Dieu a conclue avec nous (Genèse 9). Dieu a promis qu’il ne détruirait plus jamais la Terre, mais c’est maintenant l’humanité qui menace de détruire la vie. La rupture de l’alliance avec Dieu touche le cœur de notre foi. Elle nous oblige à considérer la menace actuelle qui pèse sur la Création et la vie dans son ensemble comme un status confessionis, une question cruciale pour professer notre foi.

 

Kairos

Dans la Bible, le mot “kairos” fait souvent référence au moment opportun, un moment charnière qui nous pousse à nous lever et à répondre à l’appel de Dieu. Il y a des moments qui sont décisifs et qui appellent à l’action. L’Évangile selon Marc affirme que Jésus a proclamé le message de Dieu par ces mots: “Le temps (kairos) est venu, le royaume de Dieu est tout proche; repentez-vous et croyez à cette bonne nouvelle” (Marc 1 :15).

 

Les mots disent que “le temps (kairos) est venu”. La crise climatique actuelle est un tel moment de kairos, le bon moment pour changer les choses pour le mieux. C’est le moment de rompre avec une production et une consommation nocives et débridées. C’est le moment de créer une véritable solidarité entre les personnes, ici et maintenant, et avec les générations futures. C’est le moment de  faire la paix avec la Terre et de cesser de la mutiler et de l’exploiter.

 

Voix prophétiques

Alors qu’il devenait de plus en plus évident que l’humanité était sur le point de causer des dommages irréparables à la terre, les voix de certaines Églises sont devenues plus prophétiques. Le rapport final du processus conciliaire organisé par le Conseil Œcuménique des Églises dans les années 1990 a averti que la vie elle-même est en danger si nous ne changeons pas radicalement nos actions.

 

Selon la Confession adoptée à Accra en 2004 par l’Alliance Mondiale des Eglises Réformées (dont l’EPUB est membre), les questions de justice économique et écologique ne sont pas seulement sociales, politiques et morales, mais font aussi partie intégrante de la foi en Jésus-Christ. Ces questions touchent donc à l’intégrité de l’Église. Être fidèle à l’alliance de Dieu exige que les chrétiens individuels et les Églises prennent position contre les injustices économiques et écologiques actuelles. L’Alliance mondiale a déclaré : “Nous avons entendu dire que la création continue de gémir, dans l’esclavage, attendant sa délivrance (Rom. 8:22). Nous sommes interpellés par les cris de ceux qui souffrent et par la douleur de la création elle-même. Nous constatons une convergence dramatique entre la souffrance des êtres humains et les dommages causés au reste de la création.”

 

III) Choisir la vie

La date du Synode extraordinaire, le 19 mars 2022, tombe dans la période du Carême. En cette période, il nous est rappelé que Dieu s’est fait être humain pour partager avec nous, en Jésus-Christ, la vie quotidienne, la joie et la souffrance, pour défendre le droit des “plus petits” (Mat. 25:31-46) et pour nous apprendre à gérer la Création de manière responsable. Jésus est “l’image du Dieu invisible, le premier-né de toute la création” (Colossiens 1:15).

 

L’incarnation de Dieu en Jésus-Christ est la base de l’espérance chrétienne. Il n’y a pas d’indication plus claire de l’alliance de Dieu avec l’être humain et la Création dans son ensemble. Le cœur de l’espoir bat dans la foi et l’amour. “Or la foi est l’assurance de ce qu’on espère, la conviction de ce qu’on ne voit pas.” (Héb.11:1).

 

La foi chrétienne est une foi de résurrection. Notre foi est ancrée dans la conviction que la vie est plus forte que la mort.

 

C’est pourquoi, malgré de nombreux mauvais rapports, nous continuons à croire qu’un autre mode de vie durable dans notre monde est possible ici et maintenant.

C’est pourquoi nous recevons aussi la force et le courage de nous engager de cœur et d’âme pour la justice, la paix et la préservation de la Création.

C’est pourquoi, en ce moment charnière (kairos) de l’histoire, nous voulons répondre au commandement de Dieu de choisir la vie, afin que nous et nos descendants puissions vivre (Deut.30:19).

 

Choisir la vie, c’est relever les défis d’un monde où semblent régner l’injustice, la soif de pouvoir et l’avidité sans bornes pour l’argent.

Choisir la vie, c’est choisir la lumière même là où il y a beaucoup d’obscurité, c’est choisir le partage plutôt que la cupidité, c’est choisir la solidarité plutôt que l’intérêt personnel à courte vue, c’est choisir de se tenir debout plutôt que de se résigner.

Choisir la vie, ce n’est pas se résigner à la destruction de notre environnement et de la biodiversité, ni à l’inéluctabilité du réchauffement climatique, mais agir en ayant la certitude qu’il nous sera donné la force de résister.

 

Dans notre tradition chrétienne, “choisir la vie” s’appelle “croire”.

 

Questions de discussion

En réfléchissant à notre rôle en tant qu’Églises et chrétiens par rapport au réchauffement climatique, à la perte de biodiversité et à la pollution de l’environnement, on pourrait utiliser (certaines) des questions de discussion ci-dessous.

  1. De plus en plus de personnes souffrent de “dépression climatique” ou ont peur de la fin du monde. Rencontrez-vous ces personnes dans votre environnement?
  2. Que pensez-vous de l’affirmation suivante: l’industrie, la technologie et l’expertise des scientifiques feront la différence plutôt que de changer le comportement humain?
  3. Ce mémorandum (page 2) parle de “justice climatique”. Comment interpréteriez-vous ce concept ?
  4. Aux pages 3 et 4, différentes visions bibliques sont données sur le rôle de l’homme dans la création. Laquelle vous plaît le plus, et pourquoi ?
  5. Au cours de l’histoire, l’Église s’est-elle trop occupée de la “théologie du salut” et pas assez de la “théologie de la création” ? Quelle est votre propre expérience en la matière ?
  6. La menace qui pèse sur la vie sur terre est-elle, à votre avis, une question qui touche au cœur de notre foi ?
  7. Les questions écologiques sont-elles prises en compte dans votre église (cultes) ?
  8. Y a-t-il des résistances dans votre paroisse à prêter attention à ce genre de questions ? Si oui, sur quoi se base cette résistance?
  9. La durabilité écologique et sociale joue-t-elle un rôle dans la politique de votre église? Isolation ? Des panneaux solaires? Du café équitable? Dans tous les investissements?
  10. Quel rôle voyez-vous pour l’EPUB en ce qui concerne le réchauffement de la planète, la perte de biodiversité et la pollution de l’environnement? Pour sa propre politique interne à l’église? Dans la société?
  11. Quel rôle voyez-vous pour vous-même dans ce contexte?
  12. Quelle difficultés rencontrez-vous, et quels bienfaits observez-vous, comme individus, dans l’adoption de comportements écologiques?
  13. Quelles limites voyez-vous aux changements de comportements individuels dans la lutte pour une société plus durable?
  14. Comment voyez-vous l’articulation entre action individuelle et action collective (citoyenne, politique…) pour une société plus durable?

 

Groupe de travail Église dans la Société

Décembre 2021

 

Image : pixabay

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